«Le concept de chien n’aboie pas» disait Spinoza. Si
la
désignation du quadrupède domestique par le mot
général «chien» est une pure abstraction,
alors il ne devrait y avoir aucune honte à aimer Beethoven.
Certes, le film s’avère relativement plat, pas drôle et
dégoulinant de bons sentiments (heu surtout de bave de
Saint-Bernard, en fait). C’est que le plaisir de spectateur commence
ici, sans doute, là où s’arrête la philosophie.
Faiseur / yes-man (ici télécommandé par
Ivan
Ghostsbusters Reitman) ni
spécialement doué ni
médiocre mais concerné (c’est déjà
ça) par son sujet, le réalisateur Brian Levant livre avec
Beethoven un film étendard –
qui s’ignore bien sûr – de
l’american way of life dans tout ce qu’elle a de conservateur,
pépère et familial. Très axée sur la
famille middle-class aux limites de la gentille beaufitude
(l’homme
avait commencé fort en travaillant sur Mariés
deux
enfants, avant de commettre plus tard La Famille Pierrafeu et sa suite)
et accessoirement sur la race canine (le dispensable Chiens des neiges
avec Cuba Gooding Junior), la filmographie de Levant travaille tout
entière à la réhabilitation de valeurs perverties
par les actioners et la S.F. bourrine de la décennie
précédente. Ou comment passer de Terminator
à La
Course au Jouet pour l’actuel Gouverneur de Californie…
L’histoire : poursuivi par un duo (bouffon) de voleurs de chiens, un
petit Saint-Bernard s’inscruste dans la maison proprette des Newton,
des gens heureux comme on en voit dans les films étatsuniens
grand public des années 90 : madame est bonne, monsieur (Charles
Grodin, qu’on aimait bien dans Midnight Run),
entrepreneur et
volontaire, et les enfants, bien élevés en plus
d’être blonds et souriants comme des nouilles (ça fait
beaucoup de handicaps, je sais). Adopté par tous, sauf par papa
qui accepte contre son gré de garder l’animal, la boule de poils
devient boulet, énorme de surcroît. S’engage alors une
guerre des nerfs et de territoire(s) entre le protagoniste pataud
à quatre pattes et le paternel grassouille excédé
par ses dégâts. Paisible, le pavillon de banlieue des
Newton devient champ de bataille pour l’attribution du rôle du
chef de famille, avec assauts de tendresse et de maladresse
«saint-bernardesques» filmés au ras du sol, en
caméra subjective et fish-eye réjouissants
à
défaut d’être réellement inventifs. Oubliant
(malheureusement) d’exploiter plus avant cet antagonisme (même si
notre héros poilu s’incruste dans le lit matrimonial et sauve la
cadette de la noyade pendant que les parents travaillent), Brian Levant
passe à la vitesse supérieure de l’action façon 30
millions d’amis dans la seconde partie de son métrage, qui
voit
les Newton s’opposer à un vétérinaire
véreux associé aux deux voleurs de chiens, lesquels
voudraient tester des balles explosives sur Beethoven (au fait, il
s’appelle comme ça parce que… non, laissez tomber, c’est la
trouvaille la plus débile de toute l’histoire du cinéma
pour justifier l’attribution d’un nom héroïque !). Le film
offre alors son lot de péripéties enchaînées
en guise de climax mou du genou mais regardable, où
toute la
famille déboule en commando de choc dans le laboratoire de
l’infâme expérimentateur et ses acolytes (qui seront punis
par là où ils avaient péché, vous vous en
doutez bien).
Qu’on ne s’y trompe pas : s’il force sur la valorisation du cercle
familial comme seule structure de réussite sociale (la
mère refuse de reprendre son travail pour mieux s’occuper de ses
enfants ; et des futurs associés de Newton à qui l’on
demande s’ils ont des bambins répondent avec le mépris
digne des méchants de cinéma : «nous n’avons pas
d’enfants, nous avons une carrière»),
l’intérêt du film de Levant, outre son incroyable constat
sociologique involontaire, réside dans ses mises en scène
animalières, où les catastrophes et interventions peu
discrètes de Beethoven sont traitées à chaque fois
comme un morceau de bravoure au second degré du cinéma
d’action hollywoodien : ainsi donc, voilà bien le seul film
où vous verrez un chien se secouer, éclaboussant de bave
son entourage, dans un ralenti qu’on pourrait dire kubrickien par
facétie, et une course effrénée où le
mastodonte entraîne à sa suite et malgré eux deux
yuppies cyniques (dont l’excellent David Duchovny, qui vaut le
film
à lui tout seul) attachés, table et chaises de jardin
avec, à sa laisse. C’est LA séquence
«spectaculaire» du film, savoureux petit moment de
comédie auréolée d’une pointe d’adrénaline,
burlesque et enlevée. Signé le grand manitou du rire teen
et familial John Hughes, qui, pour l’occasion se cache, le petit malin,
sous le pseudonyme de Edmond Dantes (le héros du roman Le
Comte
de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas père !), le
scénario
laisse paraître, sous les couches de bon-sentimentalisme qui le
recouvrent jusqu’à l’étouffer, quelques signes
extérieurs de facilité de cette incontournable figure
d’écriture comique : ainsi, le break (voire l’allure
beauf-banale) des Newton rappelle la voiture des Griswold dans Bonjour
les vacances ; les deux voleurs (le trop rare Oliver Platt
et Stanley
Tucci, qu’on verra avec grand plaisir dans Slevin)
s’affirment comme
réminiscence édulcorée et abrutissante du
déjà lourdingue (mais drôle) duo Daniel Stern / Joe
Pesci dans Maman j’ai raté l’avion
et sa suite ; et le potache
gentiment grivois (Beethoven léchant son maître dans son
lit !) accompagné des petites bizarreries de la nature avec
anthropomorphisme à l’appui (Beethoven regarde, intrigué,
un film de loup-garou à la télévision) font
écho aux délires ado / organiques et
pré-sexualité d’Une
Créature de rêve. Le
reste du métrage étant phagocyté par l’humour gras
de son producteur Ivan Reitman (saleté, bave et compagnie – un
vague cousinage avec Spielberg, tiens !), alors en début de
déclin (mais Évolution
est un autre film honteux
adulé par votre serviteur !) et qui étend l’influence de
ses traitements puérils (Un flic
à la maternelle,
Jumeaux) aux
velléités de faire rire aux éclats
pour de bon (c’est raté, c’est vrai…) de Levant.
Mignon tout-plein lorsqu’il n’est qu’un chiot, rigolo lorsqu’il devient
adulte, Beethoven, le chien, communique en fin de compte sa bonne
humeur mollassonne à Beethoven,
le film, qu’enjouent un peu plus
le score très professionnel de Randy Edelman et le travail
soigné d’une équipe technique pas manchote dans le
divertissement (s’y croisent entre autres le chef op’ de Pee wee et de
F/X 2, et le monteur de Be cool et Ma
super ex).
Pour le plus grand plaisir des amateurs de films honteux de tout poil,
Beethoven sera de retour plus mastard que jamais dans Beethoven 2
réalisé un an plus tard par Rod Daniel (Chien de flic,
autre grand film canin bientôt chroniqué ici bas !),
où notre ami baveux, bien colère après que des
ados alcoolisés et crétins aient bousculé sa
maîtresse et déversé sur sa tête leurs verres
de bière, fait s’effondrer dans l’eau la maison sur pilotis
où avait lieu la fête. Merci (Saint-) Bernard !
Si le concept de bon gros chien perturbateur du quotidien pour
d’éternelles manifestations d’humour, d’aventure et de tendresse
bigger than life n’aboie pas, en tout cas il rapporte : à
ce
jour, on dénombre pas moins de quatre suites à la
pellicule de Brian Levant, sans compter un jeu de
société, un jeu vidéo sur Super Nintendo et Game
Boy en 1993, et une série animée en 1994 !
Stéphane Ledien
(Cette
chronique est dédiée à mon chien, casse-pied mais
allez, gentil comme tout)