BEETHOVEN – Brian Levant (1992)


photos de 'Beethoven'


«Le concept de chien n’aboie pas» disait Spinoza. Si la désignation du quadrupède domestique par le mot général «chien» est une pure abstraction, alors il ne devrait y avoir aucune honte à aimer Beethoven. Certes, le film s’avère relativement plat, pas drôle et dégoulinant de bons sentiments (heu surtout de bave de Saint-Bernard, en fait). C’est que le plaisir de spectateur commence ici, sans doute, là où s’arrête la philosophie.
Faiseur / yes-man (ici télécommandé par Ivan Ghostsbusters Reitman) ni spécialement doué ni médiocre mais concerné (c’est déjà ça) par son sujet, le réalisateur Brian Levant livre avec Beethoven un film étendard – qui s’ignore bien sûr – de l’american way of life dans tout ce qu’elle a de conservateur, pépère et familial. Très axée sur la famille middle-class aux limites de la gentille beaufitude (l’homme avait commencé fort en travaillant sur Mariés deux enfants, avant de commettre plus tard La Famille Pierrafeu et sa suite) et accessoirement sur la race canine (le dispensable Chiens des neiges avec Cuba Gooding Junior), la filmographie de Levant travaille tout entière à la réhabilitation de valeurs perverties par les actioners et la S.F. bourrine de la décennie précédente. Ou comment passer de Terminator à La Course au Jouet pour l’actuel Gouverneur de Californie…
L’histoire : poursuivi par un duo (bouffon) de voleurs de chiens, un petit Saint-Bernard s’inscruste dans la maison proprette des Newton, des gens heureux comme on en voit dans les films étatsuniens grand public des années 90 : madame est bonne, monsieur (Charles Grodin, qu’on aimait bien dans Midnight Run), entrepreneur et volontaire, et les enfants, bien élevés en plus d’être blonds et souriants comme des nouilles (ça fait beaucoup de handicaps, je sais). Adopté par tous, sauf par papa qui accepte contre son gré de garder l’animal, la boule de poils devient boulet, énorme de surcroît. S’engage alors une guerre des nerfs et de territoire(s) entre le protagoniste pataud à quatre pattes et le paternel grassouille excédé par ses dégâts. Paisible, le pavillon de banlieue des Newton devient champ de bataille pour l’attribution du rôle du chef de famille, avec assauts de tendresse et de maladresse «saint-bernardesques» filmés au ras du sol, en caméra subjective et fish-eye réjouissants à défaut d’être réellement inventifs. Oubliant (malheureusement) d’exploiter plus avant cet antagonisme (même si notre héros poilu s’incruste dans le lit matrimonial et sauve la cadette de la noyade pendant que les parents travaillent), Brian Levant passe à la vitesse supérieure de l’action façon 30 millions d’amis dans la seconde partie de son métrage, qui voit les Newton s’opposer à un vétérinaire véreux associé aux deux voleurs de chiens, lesquels voudraient tester des balles explosives sur Beethoven (au fait, il s’appelle comme ça parce que… non, laissez tomber, c’est la trouvaille la plus débile de toute l’histoire du cinéma pour justifier l’attribution d’un nom héroïque !). Le film offre alors son lot de péripéties enchaînées en guise de climax mou du genou mais regardable, où toute la famille déboule en commando de choc dans le laboratoire de l’infâme expérimentateur et ses acolytes (qui seront punis par là où ils avaient péché, vous vous en doutez bien).
Qu’on ne s’y trompe pas : s’il force sur la valorisation du cercle familial comme seule structure de réussite sociale (la mère refuse de reprendre son travail pour mieux s’occuper de ses enfants ; et des futurs associés de Newton à qui l’on demande s’ils ont des bambins répondent avec le mépris digne des méchants de cinéma : «nous n’avons pas d’enfants, nous avons une carrière»), l’intérêt du film de Levant, outre son incroyable constat sociologique involontaire, réside dans ses mises en scène animalières, où les catastrophes et interventions peu discrètes de Beethoven sont traitées à chaque fois comme un morceau de bravoure au second degré du cinéma d’action hollywoodien : ainsi donc, voilà bien le seul film où vous verrez un chien se secouer, éclaboussant de bave son entourage, dans un ralenti qu’on pourrait dire kubrickien par facétie, et une course effrénée où le mastodonte entraîne à sa suite et malgré eux deux yuppies cyniques (dont l’excellent David Duchovny, qui vaut le film à lui tout seul) attachés, table et chaises de jardin avec, à sa laisse. C’est LA séquence «spectaculaire» du film, savoureux petit moment de comédie auréolée d’une pointe d’adrénaline, burlesque et enlevée. Signé le grand manitou du rire teen et familial John Hughes, qui, pour l’occasion se cache, le petit malin, sous le pseudonyme de Edmond Dantes (le héros du roman Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas père !), le scénario laisse paraître, sous les couches de bon-sentimentalisme qui le recouvrent jusqu’à l’étouffer, quelques signes extérieurs de facilité de cette incontournable figure d’écriture comique : ainsi, le break (voire l’allure beauf-banale) des Newton rappelle la voiture des Griswold dans Bonjour les vacances ; les deux voleurs (le trop rare Oliver Platt et Stanley Tucci, qu’on verra avec grand plaisir dans Slevin) s’affirment comme réminiscence édulcorée et abrutissante du déjà lourdingue (mais drôle) duo Daniel Stern / Joe Pesci dans Maman j’ai raté l’avion et sa suite ; et le potache gentiment grivois (Beethoven léchant son maître dans son lit !) accompagné des petites bizarreries de la nature avec anthropomorphisme à l’appui (Beethoven regarde, intrigué, un film de loup-garou à la télévision) font écho aux délires ado / organiques et pré-sexualité d’Une Créature de rêve. Le reste du métrage étant phagocyté par l’humour gras de son producteur Ivan Reitman (saleté, bave et compagnie – un vague cousinage avec Spielberg, tiens !), alors en début de déclin (mais Évolution est un autre film honteux adulé par votre serviteur !) et qui étend l’influence de ses traitements puérils (Un flic à la maternelle, Jumeaux) aux velléités de faire rire aux éclats pour de bon (c’est raté, c’est vrai…) de Levant.
Mignon tout-plein lorsqu’il n’est qu’un chiot, rigolo lorsqu’il devient adulte, Beethoven, le chien, communique en fin de compte sa bonne humeur mollassonne à Beethoven, le film, qu’enjouent un peu plus le score très professionnel de Randy Edelman et le travail soigné d’une équipe technique pas manchote dans le divertissement (s’y croisent entre autres le chef op’ de Pee wee et de F/X 2, et le monteur de Be cool et Ma super ex).
Pour le plus grand plaisir des amateurs de films honteux de tout poil, Beethoven sera de retour plus mastard que jamais dans Beethoven 2 réalisé un an plus tard par Rod Daniel (Chien de flic, autre grand film canin bientôt chroniqué ici bas !), où notre ami baveux, bien colère après que des ados alcoolisés et crétins aient bousculé sa maîtresse et déversé sur sa tête leurs verres de bière, fait s’effondrer dans l’eau la maison sur pilotis où avait lieu la fête. Merci (Saint-) Bernard !

Si le concept de bon gros chien perturbateur du quotidien pour d’éternelles manifestations d’humour, d’aventure et de tendresse bigger than life n’aboie pas, en tout cas il rapporte : à ce jour, on dénombre pas moins de quatre suites à la pellicule de Brian Levant, sans compter un jeu de société, un jeu vidéo sur Super Nintendo et Game Boy en 1993, et une série animée en 1994 !

Stéphane Ledien

(Cette chronique est dédiée à mon chien, casse-pied mais allez, gentil comme tout)

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