Tentez une expérience amusante : au
cours d’une discussion entre cinéphiles distingués,
lancez «Et bien moi j’adore La
Soupe
aux choux !»
Le long silence glacial qui s’en suivra sera aussi de Jean Girault.
À partir de ce moment nul doute que même les plus
compréhensifs de vos amis, ceux qui acceptent votre amour de
Zoolander et votre passion pour la
série Z italienne, vous
lanceront de féroces regards réprobateurs.
Bien entendu parmi toutes ces belles âmes chacun aura
déjà vu toute ou partie de l’œuvre incriminée –
car c’est sans doute là l’un des paradoxes de cette
comédie franco-franchouillarde : TOUT le monde ou presque
connaît le film, sa musique et son Jacques Villeret en E.T.
grassouillet – et tous arboreront un rictus crispé à
mi-chemin entre la moquerie sournoise et la résignation.
Car en bien (parfois) ou en mal (le plus souvent) cette adaptation d’un
roman de René Fallet ne laisse pas indifférent.
Avec un peu de heureux hasard, l’un des convives ne manquera pas de
faire jouer
sa culture en soulevant ses racines littéraires et c’est
là votre grande chance.
Car quelles différences y a-t-il entre le livre et le film ?
Absolument aucune !
Rien, nib, nada, que dalle, wallou.
Né de la volonté de Louis de Funés de porter
à l’écran ce truculent roman du terroir, le film raconte
l’histoire de deux vieillards vivant en marge de la
modernité – à une époque où l’on quitte en
masse les campagnes pour aller vivre «à la ville» –
qui reçoivent la visite inopinée d’un extraterrestre
sympathiquement naïf qui va se prendre d’affection pour le Glaude
et le Bombé et de passion pour la fameuse soupe aux choux du
premier.
Quid alors de l’ostracisme de l’adaptation pelliculée quand bien
même le roman continue à jouir d’une bonne
réputation ?
Sans doute la réponse se trouve-t-elle du côté de
cet esprit si français qui fait qu’un concours de pets dans un
livre ne peut être que Rabelaisien alors que sur grand
écran et en mono (le DTS EX n’existait pas à
l’époque et je ne parle même pas de l’odorama) la
même scène équivaut à une vulgarité
crasse.
Réduire La Soupe aux choux
à ses concours de pets sous
les étoiles est un raccourci facile, personne ne semblant
s’intéresser au reste du film, à ses dialogues souvent
savoureux, parfois poétiques («J’ai jamais eu qu’une
femme
dans ma vie et c’était la tienne»), ses vrais moments
d’émotion (Le Glaude faisant face à son épouse
ressuscitée puis obligé de lui refaire ses adieux quand,
en jeune femme de son temps, elle décide de saisir cette
nouvelle opportunité d’une vie qui ne serait pas celle d’une
boniche).
Oui le Glaude et le Bombé sont, comme les présente
Fallet, «deux vieux fossiles» qui s’accrochent à la
vie, à LEUR vie faite de plaisirs simples, de
tranquillité et de coups à boire avec les copains. Et
alors ?, peut-on se demander. Quel mal ? Le développement
économique justifie-t-il une politique
de la terre brûlée ?
À une époque où les bobos de tous poils
envahissent les villages pour mieux les polluer de leur présence
nauséabonde sous prétexte d'un retour aux sources, on se
dit
que ma foi on prendrait bien place dans la soucoupe de la Denrée
pour aller là-haut boire un canon et s’avaler un bol de
soupe.
La terre appelle Oxo !