LA SOUPE AUX CHOUX – Jean Girault (1981)


photos du film 'La Soupe aux choux'


Tentez une expérience amusante : au cours d’une discussion entre cinéphiles distingués, lancez «Et bien moi j’adore La Soupe aux choux !»
Le long silence glacial qui s’en suivra sera aussi de Jean Girault.
À partir de ce moment nul doute que même les plus compréhensifs de vos amis, ceux qui acceptent votre amour de Zoolander et votre passion pour la série Z italienne, vous lanceront de féroces regards réprobateurs.
Bien entendu parmi toutes ces belles âmes chacun aura déjà vu toute ou partie de l’œuvre incriminée – car c’est sans doute là l’un des paradoxes de cette comédie franco-franchouillarde : TOUT le monde ou presque connaît le film, sa musique et son Jacques Villeret en E.T. grassouillet – et tous arboreront un rictus crispé à mi-chemin entre la moquerie sournoise et la résignation.
Car en bien (parfois) ou en mal (le plus souvent) cette adaptation d’un roman de René Fallet ne laisse pas indifférent.
Avec un peu de heureux hasard, l’un des convives ne manquera pas de faire jouer sa culture en soulevant ses racines littéraires et c’est là votre grande chance.
Car quelles différences y a-t-il entre le livre et le film ?
Absolument aucune !
Rien, nib, nada, que dalle, wallou.
Né de la volonté de Louis de Funés de porter à l’écran ce truculent roman du terroir, le film raconte l’histoire de deux vieillards vivant en marge de la modernité – à une époque où l’on quitte en masse les campagnes pour aller vivre «à la ville» – qui reçoivent la visite inopinée d’un extraterrestre sympathiquement naïf qui va se prendre d’affection pour le Glaude et le Bombé et de passion pour la fameuse soupe aux choux du premier.
Quid alors de l’ostracisme de l’adaptation pelliculée quand bien même le roman continue à jouir d’une bonne réputation ?
Sans doute la réponse se trouve-t-elle du côté de cet esprit si français qui fait qu’un concours de pets dans un livre ne peut être que Rabelaisien alors que sur grand écran et en mono (le DTS EX n’existait pas à l’époque et je ne parle même pas de l’odorama) la même scène équivaut à une vulgarité crasse.
Réduire La Soupe aux choux à ses concours de pets sous les étoiles est un raccourci facile, personne ne semblant s’intéresser au reste du film, à ses dialogues souvent savoureux, parfois poétiques («J’ai jamais eu qu’une femme dans ma vie et c’était la tienne»), ses vrais moments d’émotion (Le Glaude faisant face à son épouse ressuscitée puis obligé de lui refaire ses adieux quand, en jeune femme de son temps, elle décide de saisir cette nouvelle opportunité d’une vie qui ne serait pas celle d’une boniche).
Oui le Glaude et le Bombé sont, comme les présente Fallet, «deux vieux fossiles» qui s’accrochent à la vie, à LEUR vie faite de plaisirs simples, de tranquillité et de coups à boire avec les copains. Et alors ?, peut-on se demander. Quel mal ? Le développement économique justifie-t-il une politique de la terre brûlée ?
À une époque où les bobos de tous poils envahissent les villages pour mieux les polluer de leur présence nauséabonde sous prétexte d'un retour aux sources, on se dit que ma foi on prendrait bien place dans la soucoupe de la Denrée pour aller là-haut boire un canon et s’avaler un bol de soupe.
La terre appelle Oxo !


Julien Taillard