RUNNING MAN – Paul Michael Glaser (1987)


photos de 'Running Man'


Dans cette rubrique des films honteux, nous aimons à évoquer des œuvres qui, sans être proprement mauvaises, n’ont pour autant jamais attiré les sympathies du public ni de la critique, ni à l’époque de leur sortie ni, ensuite, dans la postérité, bien que pour un nombre restreint de cinéphiles ces quelques enroulements de bobines conservent une saveur particulière. Comme les bons vins à la française, les films «honteux» prennent du goût avec l’âge. En attendant qu’un jour, peut-être, ils se voient réhabilités.
The Running Man a eu un destin spécial, bien à lui : sans marquer l’histoire du cinéma, il a profondément bouleversé toute une génération de cinéphiles ou, en l’occurrence, de cinéphages, dont je suis partie intégrante. Puissantes images : Ben Richards, sous les traits du bodybuildé Arnold Schwarzenegger, courant à toute berzingue pour s’échapper de sa prison, dès les premières minutes du film ; puis sa performance de course diffusée et rediffusée devant le très méchant patron de télévision Damon Killian (Richard Dawson) qui veut l’enrôler de force dans son jeu à succès, à vrai dire le seul encore autorisé : The Running Man. Puissant symbole : une unique chaîne de télévision qui projète ses ondes dans tout le pays, un jeu moralement détestable où les concurrents risquent la mort (et qui, in fine, meurent effectivement) dans un combat de gladiateurs du futur et ce, pour une poignée de dollars, une manne financière qui contrôle les esprits et modifie à l’envi la moralité de chacun… Image et pouvoir : n’est-ce pas l’utopie télévisuelle réalisée ? À peu de choses près ce que nos actuels présentateurs cathodiques aux dents longues doivent imaginer avec envie…
Réalisé par l’acteur Paul Michael Glaser, le Starsky de Starsky et Hutch, remplaçant au pied levé Andrew Davis peu après le début du tournage, The Running Man est l’adaptation d’un roman éponyme du maître Stephen King, qui pour l’occasion enfila son pseudonyme de Richard Bachman. Mais le film s’est suffisamment éloigné de son matériau originel pour ne lui ressembler qu’en surface, ce qui fait de Running Man une véritable adaptation, au sens premier du terme : à l’exception du titre, du nom de deux personnages principaux (Richards et Killian) ainsi que du vague principe de départ, Glaser s’affranchit tout à fait de King et notifie d’ailleurs, durant le générique, qu’il s’agit d’une «adaptation libre». L’inconvénient ? Le roman était assez bien troussé et intense pour permettre une adaptation propre, littérale, alors que le film s’avère plus confus et moins maîtrisé que son modèle. L’avantage ? En prenant ses distances avec le livre, le long-métrage plonge des deux pieds dans une sauvage critique du système audiovisuel qui n’était certes pas aussi prégnant sur le papier. Honnête père de famille soucieux de gagner un peu d’argent pour soigner sa fille, Ben Richards devient, dans le film, un policier refusant de tirer à vue sur une foule de civils innocents ; rébellion qui lui vaut non seulement la prison, mais aussi la détestation de ses semblables : grâce à un savant remontage des images du drame, les techniciens font passer Richards pour un assassin sanguinaire qui tire sans discontinuer sur les masses, images qui lui valent désormais, pour le public, le surnom de «Boucher de Bakersfield». Nous sommes en 2019. La télévision est dominée par un jeu particulièrement violent et exutoire, où les candidats vénaux affrontent des gladiateurs formés à tuer sans réserve : The Running Man est regardé par une foule de téléspectateurs pavlovisés, aliénés. Lorsque Richards parvient à s’enfuir de prison avec deux camarades, il est repris par les autorités et désigné volontaire pour combattre, à son tour, les vicieux gladiateurs dans une zone de Los Angeles autrefois dévastée par un tremblement de terre… Mais le candidat désespéré s’avérant rapidement plus fort que le jeu, Killian n’hésite pas à revoir les règles en cours de route et à tricher intégralement sur la diffusion – allant jusqu’à présenter au public la mort factice de Richards.
La nostalgie n’y est donc pour rien : même déséquilibré par d’évidentes maladresses de scénario et de mise en scène, The Running Man parvient à transcender ses apparentes faiblesses pour proposer un véritable brûlot sur l’univers de la télévision et le contrôle médiatique des masses. Le tout illustré par un boulot de mise en scène le plus souvent correct, et parfois franchement fascinant ; sans doute le sujet inspirait-il Glaser ? Ce n’est pas un hasard, en tout cas, si l’on retrouvait récemment celui-ci dans Live ! de Bill Guttentag, en président véreux de chaîne de télévision locale… Et puisque c’est toujours un plaisir que de voir notre cher Schwarzenegger, aujourd’hui loin du cinéma et (trop) politique, bander ses muscles et partir à l’assaut avec brutalité, il serait dommage de bouder ce morceau de testostérone qu’est Running Man.


Eric Nuevo